mardi, octobre 16, 2007

Loukili : "Je n'ai pas une mémoire sélective contrairement aux enquêteurs"

Ce mardi (16/10/07), deuxième jour du procès de la filière belge de recrutement, de financement et d'acheminement des combattants islamistes en Irak et toujours pas d'apparition du principal inculpé. Bilal Soughir, considéré comme le dirigeant belge de ce réseau sur base des techniques particulières de recherche, refuse toujours de comparaître devant le tribunal correctionnel de Bruxelles à cause de son refus de porter la cagoulle lors de son transfert de la prison de Saint-Gilles. L'intéressé invoque sa claustrophobie et des raisons dermatopathologiques et son avocate (maître Fernande Motte-De Raedt) défend durement sa cause face à un procureur fédéral qui perd patience.

En l'absence du principal inculpé, le président du tribunal a commencé l'interrogatoire du deuxième sur la liste qui est le "benjamin de la bande" : Youness Loukili. Belgo-marocain unijambiste à canne, crâne rasé, pantalon court, ce personnage souriant est notamment accusé par le parquet d'être "membre d'une organisation terroriste", de "faux et usage de faux" et de falsification de divers documents officiels, d'être "membre d'une association de malfaiteurs destinés à perpétrés des crimes et des délits", de "port public de faux nom"(celui de Bilal Soughir). Des préventions dont les qualifications sont certes lourdes mais dépassent généralement l'ampleur des délits commis, surtout en matière de faux administratifs.

Doté visiblement d'une certaine intelligence, Youness Loukili caresse sa barbichette, sourit et interagit en tentant de démonter par l'absurde l'argumentaire développé par le réquisitoire. "Je n'ai pas une mémoire sélective contrairement aux enquêteurs et je suis tout à fait étranger aux faits que vous avez décrits. Je suis étranger à tout ça car je n'en ai aucun souvenir. Tout se base sur un e-mail par lequel j'aurais entretenu des rapports avec d'autres personnes mais je vous signale que n'importe qui aurait pu prendre ma place en utilisant cette adresse. Il y a des milliers de Youness en Belgique, en Syrie ou au Maroc", explique l'individu. Ami de Bilal Soughir, Youness Loukili est suspecté d'être le passeur d'un groupe structuré chargé d'acheminer les combattants volontaires du territoire syrien vers les terrains de combat irakiens. Un raccourci totalement démenti par le prévenu malgré des preuves basées sur les écoutes téléphoniques, les transferts financiers et les conversations en ligne captées par les enquêteurs. Il avouera à peine une fraude aux allocations de chômage en précisant que, pendant son séjour en Syrie, "je me suis arrangé pour qu'on puisse pointer pour moi mais je ne me souviens pas avec qui j'ai arrangé cela".

Le président le confronte avec les déclarations d'un dénommé "Kerettin" arrêté en Algérie avec un boulanger anderlechtois belgo-algérien Bouazza Al Hadj (alias Abou Ousama) en lien avec le Groupe Salafiste de Prédication et de Combat où Kerettin déclare que Loukili aurait perdu sa jambe en Irak suite à un tir de rocket provenant d'un hélicoptère en plein combat. "Je n'ai jamais mis les pieds en Irak", réplique Youness Loukili. "J'ai perdu ma jambe lors d'un accident de roulage en octobre. C'est un épisode traumatisant pour moi et je ne veux pas en parler. D'ailleurs, je m'en souviens plus car je prenais beaucoup de médicaments, mes souvenirs sont flous." On ne perd pas une jambe sans laisser de trace dans un centre médical ou un hôpital, le président lui demande logiquement s'il a un rapport médical attestant cet accident. "Mon rapport médical a été confisqué par les services secrets syriens", répond l'intéressé sans vraiment convaincre l'audience. D'autant plus que le président avait déjà fait état, la veille, des tentatives de sa femme d'obtenir, sans succès, un rapport médical falsifié auprès de contacts syriens. "J'ai ramassé tellement de coups des services secrets syriens que je me rappelle plus des détails. Il suffit d'avoir une barbe pour qu'on vous arrête car les Syriens arrêtent tout et n'importe quoi. Renseignez-vous sur internet pour voir comment les services secrets syriens interrogent les prévenus", insiste Loukili sans détailler les tortures qu'il a subi lors de ses interrogatoires. Le 07/03/05, il se trouve au Maroc (sans explication) avant de revenir en Belgique. "J'ai également été interrogé par les services marocains. Ils m'ont demandé si j'étais membre d'Al Qaeda, si j'avais été en Irak, etc. J'ai expliqué que je n'avais jamais mis les pieds en Irak. A la moindre suspicion de terrorisme, le Maroc torture les détenus. Or, ils ne m'ont rien fait. Il y a des centaines d'agents marocains et syriens qui surveillent les entrées et les sorties en Irak et même eux ne m'ont jamais vu en Irak. Ici, à 3.000 km de l'Irak, je dois encore prouver que je n'ai jamais été dans ce pays, c'est vraiment ridicule. Si j'avais le courage d'aller en Irak, je prendrai des extraits du Coran et de la Sunnah pour prouver que les attentats suicides sont interdits dans l'islam. Je ne suis pas un terroriste !", précise Youness Loukili.

Nabil Karmun et Souhaieb Soughir prendront également brièvement la parole pour décrire le contexte du milieu étudiant en Syrie pour le premier et le parcours syrien pour atteindre la Thaïlande pour le second. Pissant à mes côtés pendant la pause judiciaire, Nabil Karmun m'expliquera que "les enquêteurs interprètent tout à leur manière. Ils exagèrent tout. Je n'ai été que pour étudier l'arabe en Syrie et rien d'autre. Alors on m'accuse d'avoir prêté une Seat à Bilal alors qu'il s'agissait de sa propre voiture. C'est vrai que j'ai envoyé une série de sommes d'argent dans des oeuvres caritatives musulmanes mais lier ces faits au financement du terrorisme international est totalement faux!", conclut le jeune homme qui se cache derrière son écharpe et sous sa casquette. Fin de séance, les débats reprennent ce jeudi... avec ou sans Bilal Soughir, le plus attendu des prévenus dans ce dossier.